La prévention de l’apatridie chez les migrants et leurs enfants en Afrique du Nord: Rapport Maroc
Published: 12/Dec/2019
Source: Association Marocaine d’Etudes et de Recherches sur les Migrations (AMERM)
La prévention de l’apatridie chez les migrants et leurs enfants en Afrique du Nord : le rôle des pays d’accueil et des pays d’origine dans l’enregistrement des naissances et la délivrance des documents d’identité : Le cas de l’Égypte et du Maroc
Rapport Maroc
Coordinatrice de l’étude: Pr. Emérite Malika Benradi
Comité scientifique:
Pr. Emérite Malika Benradi : Coordinatrice de l’étude
Pr. Hajar EL Moukhi : Assistante de recherche
Mme Hanane Serrhinni : Doctorante en droit de migration
Mr. Badreddine Krikez : Etudiant-chercheur
Télécharger :
Français: AMERM_Rapport-Apatridie-Migrants-fin_2019
Arabe: AMERM_Rapport2019AR_الجمعية المغربية للدراسات و الأبحاث حول الهجرة
Synthesis report in English for Egypt and Morocco available here: https://citizenshiprightsafrica.org/preventing-statelessness-among-migrants-and-refugees-birth-registration-and-consular-assistance-in-egypt-and-morocco/
Résumé
Le Maroc, considéré de longue date comme un pays d’émigration et de transit, est devenu depuis au moins deux décennies, un pays d’établissement pour un nombre important de migrants essentiellement originaires de l’Afrique subsaharienne.
Sans doute, à l’instar des migrants marocains, différentes raisons peuvent motiver la décision de partir : la pauvreté, l’insécurité, les conflits et les changements climatiques mettent sur les routes de l’exil, chaque année, des milliers de personnes à la recherche de meilleures conditions de vie.
L’amplification du phénomène au Maroc est accentuée par les politiques restrictives de l’Union Européenne qui bloquent au Maroc un nombre considérable de migrants en situation irrégulière, dont le projet migratoire vise la rive nord de la Méditerranée.
Ainsi, plus d’une centaine de nationalités vivent au Maroc, dans des conditions, qui, en dépit des efforts fournis par le gouvernement marocain, ne répondent pas aux exigences des instruments internationaux, en faveur des droits humains des migrants, que le Maroc a ratifiés et aux nouvelles dispositions de la constitution de 2011.
En effet, l’accroissement des effectifs des migrants et des réfugiés établis d’une manière irrégulière sur le territoire marocain, suite aux évènements qui ont secoué la région du Moyen Orient (le printemps arabe) en 2011 et à l’instabilité politique qui caractérise certains pays africains, met à rudes épreuves la politique migratoire marocaine.
L’absence de documents d’identité et la non déclaration à l’état civil marocain des enfants de migrants nés au Maroc, constituent des problèmes majeurs auxquels sont confrontés les migrants et les réfugiés et des problématiques sérieuses auxquelles le Maroc devrait y apporter des solutions pour prévenir et lutter contre le phénomène de l’apatridie. C’est ce qui explique les besoins énormes et les grandes attentes des migrants par rapport à la société marocaine, dont toutes les composantes sont interpellées aujourd’hui, et par rapport au pays d’origine.
Ces problématiques deviennent une préoccupation quotidienne des différents départements ministériels en charge de la question migratoire. La question de l’enregistrement à l’état civil des enfants nés au Maroc est à l’ordre du jour, elle s’inscrit dans la grande problématique de l’accès des enfants, nés sur le territoire marocain, aux droits fondamentaux : soins de santé, éducation, logement, formation…Cet accès aux droits est tributaire de leur identification et par conséquent de leur enregistrement à l’état civil et de leur nationalité.
C’est dire combien le risque d’apatridie est grand pour ces enfants non déclarés à l’état civil et dont les parents n’ont souvent aucun document d’identité prouvant leur nationalité d’origine et leur appartenance à un Etat donné.
Cette question, sensible et d’une grande complexité, interpelle également la société d’origine et plus précisément les autorités consulaires lorsque la nationalité du migrant est connue.
Certes, les migrants non irréguliers constituent des catégories vulnérables, leur précarité est accentuée par la situation juridique dans laquelle ils vivent au Maroc, les deux campagnes de régularisation des migrants en situation irrégulière, suivie par la campagne nationale d’enregistrement à l’état civil de tous les enfants nés au Maroc, ont soulagé un nombre important de migrants mais des milliers demeurent confrontés à de gros problèmes de tout ordre, dont le plus important est relatif à l’obtention des documents d’identité auquel s’ajoute, de plus en plus, l’enregistrement à l’état civil de leurs enfants nés sur le sol marocain.
La présente recherche, qualitative, limitée dans ses ambitions, entend lever le voile sur cet aspect de la question migratoire : l’obtention des documents d’identité et l’enregistrement des enfants à l’état civil.
Les entretiens menés dans le cadre de cette recherche, auprès des migrants/réfugiés et auprès des principaux acteurs intervenant dans l’identification, la délivrance des documents et l’enregistrement des enfants à l’état civil, ont permis de mettre en exergue, d’une part, les difficultés auxquels sont confrontés les migrants pour obtenir les documents d’identité et d’autre part, les contraintes juridiques et financières qui réduisent l’action des différents intervenants.
Ces obstacles, livrés par l’ensemble des migrants/réfugiés et les représentants des institutions en charge de la gestion de la question migratoire, ont, en toute objectivité, étaient soulignés en tant que constats et soumis à une analyse rigoureuse, qui a permis in fine de faire quelques recommandations.
A cet égard, il ressort des entretiens menés auprès des migrants et de certains acteurs de la société marocaine, des constats très parlants :
- Plusieurs migrants interrogés n’ont pas accès à l’information, ils ignorent le système juridique du pays d’accueil qui exige l’enregistrement des enfants nés au Maroc, dans le délai de 30 jours et qui les renvoient, après l’expiration de ce délai, aux instances judiciaires.
- La majorité des migrants, compte tenu de leurs conditions précaires, n’accordent aucune importance à l’enregistrement de leurs enfants à l’état civil, pour de nombreux, cette obligation n’est ni une priorité, ni une urgence, le risque d’apatridie est banalisé, il s’inscrit pour la majorité dans la condition des parents, caractérisée par la vulnérabilité, par les violations des droits humains, aussi bien dans la société d’accueil que dans le pays d’origine et par une grande stigmatisation.
- La majorité des migrants en situation irrégulière confondent leur propre situation avec celle de leurs enfants. Ils considèrent que tant que leur situation n’est pas régularisée, celle de leur progéniture suit.
- Certains migrants pensent que l’enregistrement de l’enfant à l’état civil leur fait courir le risque d’être identifiés et éventuellement d’être expulsés. Ils ignorent tous que les droits de l’enfant sont distincts et indépendants de la situation juridique des parents et que le pays d’établissement – en l’occurrence le Maroc – a des obligations à l’égard de tout enfant né sur son territoire.
- De nombreux migrants reconnaissent l’aide matérielle, sociale, psychologique et le soutien apporté par les associations, pour l’obtention des documents d’identité et l’enregistrement des enfants à l’état civil. Ils dénoncent en même temps la non-assistance des autorités consulaires, jugées trop distantes et n’accordant aucun intérêt aux problèmes de leurs ressortissants.
- Les migrants et les réfugiés qui ont eu recours au HCR et à l’OIM reconnaissent l’aide appréciable et le grand soutien qu’ils leur ont apportés.
- Des perceptions croisées ont été constatées entre les réfugiés syriens et les migrants subsahariens enquêtés, chaque groupe considère que l’autre groupe est plus favorisé. En se comparant aux Syriens, récemment arrivés, les migrants subsahariens insistent sur les comportements xénophobes de la société d’accueil à leur égard. Quant aux demandeurs d’asile syriens, ils déplorent leur condition et insistent sur les difficultés qu’ils rencontrent pour régulariser leur situation juridique et pensent que les migrants subsahariens bénéficient de plus de facilités.
Pour ce qui concerne les acteurs intervenant dans le traitement de cette problématique, les entretiens menés avec certains départements ministériels montrent que leurs actions se trouvent limitées, notamment par les exigences qu’imposent le respect des lois et des procédures (officiers de l’état civil, juges, responsables des arrondissements administratifs…) que les migrants ignorent le plus souvent ou ne comprennent pas.
Les quelques autorités consulaires consultées déplorent le manque de coordination avec les autorités administratives du pays d’accueil et le manque de compréhension de la part de leurs propres ressortissants.
Les acteurs de la société civile, en dépit de leur volonté de venir en aide aux migrants et de les assister dans les procédures administratives et judiciaires, pour l’obtention des documents d’identité et l’enregistrement des enfants à l’état civil, ne disposent pas, très souvent, des moyens financiers et humains qui leur permettent d’être efficaces.
Les agences des NU sont confrontées, en plus des problèmes d’ordre financier, aux limites d’intervention, imposées par le cadre juridique national, parfois restrictif (la non ratification par le Maroc des conventions sur l’apatridie par exemple) et par le respect de la souveraineté de l’état d’accueil.
L’analyse des constats relevés à partir des entretiens menés auprès des migrants et des acteurs intervenant dans la délivrance des documents d’identité et l’enregistrement des enfants à l’état civil, a permis de formuler les recommandations suivantes :
- L’information et la sensibilisation des migrants/réfugiés en leur apportant l’aide judiciaire nécessaire pour l’obtention des documents d’identité.
- La sensibilisation de la population d’accueil sur la situation des migrants et des réfugiés.
- La formation des intervenants sur les questions juridiques/ judiciaires relatives aux documents administratifs et à l’enregistrement des enfants à l’état civil : acteurs de la société civile, officiers de l’état civil, agents administratifs des arrondissements, assistantes sociales, agents consulaires …
- Assurer une meilleure coordination entre les autorités marocaines et les autorités consulaires des pays d’origine pour faciliter l’obtention des documents d’identité et l’enregistrement à l’état civil des enfants nés au Maroc.
- La prolongation du délai d’enregistrement des enfants de migrants, nés au Maroc, certains migrants proposent le délai d’une année au lieu de 30 jours.
- La non exigence de l’acte de mariage, quelle que soit la confession religieuse du migrant – réfugié pour l’enregistrement des enfants à l’état civil.
- Assurer une protection sociale aux mineurs migrants non accompagnés et les aider à être intégrés dans la société d’accueil et à jouir de leurs droits humains fondamentaux.
- L’actualisation et l’harmonisation de l’arsenal juridique marocain avec les dispositions de la constitution de 2011 et les conventions internationales relatives aux droits des migrants, des réfugiés et des apatrides ; à travers la mise en oeuvre de la Stratégie Nationale d’Immigration et d’Asile.
- La ratification par le Maroc des Conventions internationales et régionales relatives à la protection des apatrides, la réduction de l’apatridie, la nationalité de la femme et des enfants et la mise en oeuvre des conventions déjà ratifiées par le Maroc, notamment la Convention relative aux Droits de l’Enfant et la CEDAW.