RD Congo – Nationalité : la question qui pourrait tout faire déraper
Published: 1/Jul/2017
Source: Le Point Afrique (Paris)
ANALYSE. Difficile de ne pas penser aux dégâts de l’ivoirité à l’évocation de la double nationalité de Katumbi. La RDC pourra-t-elle supporter une nouvelle fracture ?
Par J.-J Arthur Malu-Malu
Ce sont les articles 10 et 72 de la Constitution de la République démocratique du Congo du 18 février 2006, modifiée par la loi n° 11/002 du 20 janvier 2011, qui servent de cadre aux dispositions relatives à la nationalité congolaise. Vu l’imbroglio né de la réalité du terrain, la question est plus qu’épineuse.
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Tout est parti d’une déclaration-choc d’Alexis Thambwe Mwamba, le ministre congolais de la Justice, sur Moïse Katumbi, ancien gouverneur de l’ex-province du Katanga et candidat déclaré à l’élection présidentielle prévue, sur le papier, au plus tard en décembre 2017. « Il n’a jamais été question d’empêcher monsieur Katumbi de se présenter à la présidentielle. Ce ne sont pas des poursuites en justice qui l’empêcheront de se présenter. C’est la Constitution […] qui interdit la double nationalité et qui empêche M. Katumbi de se présenter », a-t-il dit. Pour rappel, la Constitution précise, en son article 10, que « la nationalité congolaise est une et exclusive. Elle ne peut être détenue concurremment avec aucune autre ». Cette sortie de Thambwe Mwamba a jeté l’émoi dans le camp de Moïse Katumbi qui est soutenu par une frange de l’opposition communément appelée le G7 et composée, pour l’essentiel, de dissidents de la majorité présidentielle.
Nationalité : une manœuvre de diversion
Visiblement, Thambwe Mwamba, poursuivi en Belgique pour crimes contre l’humanité, semble vouloir jouer la carte de la diversion. Les faits qui lui sont reprochés remontent à 1998, à l’époque où il était membre de l’équipe dirigeante du Rassemblement congolais pour la démocratie (RCD), un mouvement rebelle soutenu par le Rwanda, un mouvement qui avait abattu un avion de ligne, avec à son bord une cinquantaine de personnes. Manifestement, cette manœuvre est sortie pour éclipser momentanément l’affaire Thambwe et relancer l’affaire Katumbi sous un nouveau jour.
Un journal pro-régime s’est engouffré dans la brèche ainsi ouverte pour publier des « preuves » de la détention, par Moïse Katumbi, d’au moins deux autres nationalités : zambienne et italienne. Info ou intox ? « Moïse Katumbi est congolais. Il n’a jamais eu de nationalité étrangère », a réagi son porte-parole, l’ancien ministre Olivier Kamitatu, qui a indiqué que des officines s’employaient à fabriquer des faux pour enfoncer l’homme d’affaires.
Moïse Katumbi a occupé le poste de gouverneur de la province minière du Katanga entre 2007 et 2015. Il a longtemps été un membre influent du parti au pouvoir, le PPRD, et dans les bonnes grâces du président Joseph Kabila. Né au Katanga, d’un père originaire de Rhodes et d’une mère congolaise, Moïse Katumbi a passé le plus clair de sa vie en République démocratique du Congo. Il parle couramment le swahili, l’une des quatre langues nationales de la RDC, et le français. Depuis une vingtaine d’années, il est le président du TP Mazembe, l’un des meilleurs clubs de football congolais et africains.
Choisir l’opposition : ouvrir la boîte à ennuis
Ses ennuis ont commencé le jour où il a rejoint l’opposition pour exiger le respect de la Constitution qui, en l’état, interdit au président Kabila d’être candidat à sa propre succession. Il a été traîné devant les tribunaux, accusé de recruter des mercenaires et condamné dans une affaire immobilière. Mais, jusque-là, personne n’avait remis en question la nationalité de ce quinquagénaire qui vit en exil depuis quelques mois, sous la menace d’une arrestation s’il retournait dans son pays natal.
S’achemine-t-on vers la fin de cet exil ? La justice congolaise a convoqué Moïse Katumbi et annulé l’autorisation qu’elle lui avait accordée de se rendre à l’étranger pour des raisons médicales. Rentrera, rentrera pas ? « Nous avons reçu une lettre à cet effet. Moïse Katumbi n’a jamais exclu de revenir au pays. Il a toujours dit qu’il n’a rien à se reprocher. Si on doit le mettre en prison par vengeance politique, on comprendra que nous ne sommes pas dans un État de droit. Je ne connais pas le dossier de la double nationalité attribuée à mon client », a déclaré Me Joseph Mukendi, le coordonnateur du collectif d’avocats de Moïse Katumbi en RDC.
Nationalité : un débat à double tranchant
Cette affaire ravive le débat passionné, voire hystérique, sur la nationalité congolaise. Les réseaux sociaux s’enflamment. Des propos teintés de racisme, rejetant les « métis », ont été publiés. Des responsables politiques n’hésitent pas à faire vibrer la corde xénophobe et à multiplier écrits et paroles sur le thème de la souveraineté nationale en péril. En réaction, Sindika Dokolo, homme d’affaires congolais, gendre du président angolais Eduardo Dos Santos et partisan de la candidature de Moïse Katumbi, a fait part de ses interrogations. « Kabila avait-il un passeport zaïrois lorsqu’il vivait en Tanzanie ? Quelle était sa nationalité et quand l’a-t-il abandonnée ? » s’est demandé Sindika Dokolo, fils d’un homme d’affaires congolais, qui fit fortune dans l’ex-Zaïre dans les années 70-80, et d’une mère danoise.
Les questions de Sindika Dokolo n’ont pas suscité la moindre réaction de la majorité présidentielle, habituellement si prompte à défendre Joseph Kabila. Pourtant, des pans entiers du parcours de ce chef d’État secret et taiseux restent flous. En effet, il est arrivé à Kinshasa dans la foulée de la victoire de la rébellion – soutenue par le Rwanda et l’Ouganda – sur la dictature de Mobutu en août 1997. Puis, moins de quatre ans plus tard, il a été hissé au pouvoir, après l’assassinat de son père, Laurent-Désiré Kabila. Joseph Kabila a été élu en 2006 et réélu en 2011, sur fond de contestation. Nombreux sont les Congolais qui le soupçonnent d’user de subterfuges pour rester le plus longtemps possible aux commandes du pays, après l’expiration de son second et dernier mandat en décembre 2016.
Nationalité : un débat pas nouveau
Ce n’est pas la première fois que les Congolais se déchirent sur la nationalité de leurs dirigeants. Certains qualifient d’étranger tout responsable politique présentant des traits physiques prêtés, à tort ou à raison, à des ressortissants de trois pays voisins de la RDC : l’Ouganda, le Burundi et le Rwanda.
En 2015, les autorités belges avaient refusé la nomination au poste d’ambassadeur de RDC en Belgique d’un ancien directeur de cabinet du président Kabila. La presse a révélé que l’homme n’avait jamais renoncé à sa nationalité belge. Cette histoire cocasse n’a pas été officiellement commentée, côté congolais.
En outre, peu après la nomination de Samy Badibanga au poste de Premier ministre en novembre 2016, le public a découvert qu’il avait acquis la nationalité belge au début des années 2000. La vive polémique provoquée par la révélation de sa naturalisation l’aurait conduit à renoncer à sa nationalité belge. « Un Premier ministre belge à la tête d’un gouvernement congolais 56 ans après l’indépendance ? C’est l’humiliation suprême », a écrit un fin observateur de la vie politique congolaise.
Malgré le tollé suscité par cette nomination atypique dans certains milieux, les partisans de la majorité présidentielle n’y avaient pas vu d’inconvénient. Ils avaient fait bloc derrière ce Premier ministre éphémère qui a été poussé vers la sortie en mai 2017, sans avoir lancé la moindre réforme.
Ne pas jouer avec le feu
À l’approche de l’élection présidentielle, la tension est perceptible dans le pays. Ceux qui lorgnent ouvertement le fauteuil présidentiel reçoivent une pluie de flèches empoisonnées, décochées particulièrement par le camp des partisans de Joseph Kabila qui tardent à lui trouver un dauphin. La montée de cette guerre psychologique accompagnée de boules puantes inquiète une partie de la population.
« Certains d’entre nous jouent avec le feu. La question de l’ivoirité est encore présente dans les esprits. On sait dans quel gouffre cette question a précipité la Côte d’Ivoire », a mis en garde un autre analyste politique. Force est de constater que les dirigeants politiques vivent dans l’hypocrisie collective. Il y a une dizaine d’années, il a été établi que plus de 40 % des 500 députés de l’Assemblée nationale étaient des « binationaux ».
Ils auraient pu faire évoluer la législation, de manière à légaliser la double nationalité, ou appliquer strictement les textes en vigueur. Mais, au lieu de cela, la représentation nationale avait botté en touche, optant pour un « moratoire » de trois mois. Rien n’indique cependant que les députés concernés par cette situation aient profité de cette période pour tout tirer au clair. Jusqu’à quand se contenteront-ils de mettre la poussière sous le tapis ? La question reste ouverte.
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