Soudan: Commentaire sur l’affaire Mazin Adil Ali Deng et autres C. Ministère de l’Intérieur et Ministère de la Justice
Published: 16/Nov/2016
Source: CRAI blog
Par Nasredeen Abdulbari
La sécession du Soudan du Sud du Soudan en juillet 2011 a été suivie par des amendements de la loi soudanaise sur la nationalité retirant la nationalité à ceux qui ont droit à la nationalité sud soudanaise. Ces changements ont, sans surprise, conduit à l’émergence de litiges liés à la nationalité par des individus nés d’une famille mixte devant les institutions judiciaires soudanaises, où les plaignants ont contesté les décisions leur privant ou les empêchant d’obtenir ou de recouvrer la nationalité soudanaise. D’une part, il est regrettable que les personnes qui sont nées sur le sol soudanais et / ou d’un parent soudanais et qui ne connaissent aucun autre lieu de résidence que le Soudan, luttent légalement pour établir qu’elles sont soudanaises. D’autre part, c’est un phénomène positif que l’arène de cette lutte ne soit pas, en général, les prisons, les centres de détention ou les camions d’expulsion, mais les tribunaux juridiques.
Le cas de Mazin Adil Ali Deng (ci-après Mazin Deng) et d’autres, jugé le 23 août 2016, est à ce jour le deuxième cas à examiner et à trancher par la Cour Constitutionnelle; le premier était le cas de Iman Hasan Benjamin c. le Gouvernement soudanais. Dans l’affaire Benjamin, jugé en juillet 2014, la Cour avait établi qu’Iman Hasan Benjamin avait le droit d’obtenir la nationalité Soudanaise parce que sa mère était Soudanaise sans rejeter la décision du registre d’état civil. Dans l’affaire Deng, la Cour a également trouvé que les requérants avaient le droit d’acquérir la nationalité Soudanaise en fonction de la nationalité de leur mère, mais a également rejeté la décision du Ministère de l’Intérieur.
Les requérants dans l’affaire Mazin Deng étaient six frères et sœurs nés au Soudan d’un père (Adil Ali Deng) du Sud Soudan et d’une mère (Saeeda Abuzaid Mohamed Doka) du Soudan du Nord (Soudan). Ils ont introduit des demandes au Ministère de l’Intérieur du Soudan pour obtenir la nationalité Soudanaise, mais leurs demandes ont été rejetées au motif que leur père avait perdu sa nationalité soudanaise en acquérant celle du Sud Soudan en vertu des lois du nouvel État lorsque ces deux pays se sont officiellement séparés. L’appel devant la Cour constitutionnelle s’était basée sur l’article 7(2) de la Constitution intérimaire du Soudan de 2005 (amendée en 2011), qui stipule que «Toute personne née d’une mère ou d’un père Soudanais a le droit inaliénable de jouir de la nationalité soudanaise. ”
L’argument des requérants était que la réglementation de la nationalité par la loi n’inclut pas et ne devrait pas aller jusqu’à priver une personne d’un droit qui a été donné ou reconnu par la Constitution. En d’autres termes, ils ont soutenu que les dispositions statutaires ne pouvaient pas ou ne devraient pas porter atteinte aux dispositions constitutionnelles, ce qui signifie que le droit des plaignants d’acquérir la nationalité par l’intermédiaire du père, conformément à la Constitution de 2005, ne peut être enlevé par la loi sur la nationalité.
Le représentant du Ministère de l’Intérieur a soutenu que, bien que la Constitution reconnaisse le droit inaliénable de ceux qui sont nés soit d’une mère ou d’un père soudanais d’acquérir la nationalité soudanaise, elle stipule également à l’article 7(3) que la loi doit réglementer la nationalité et la naturalisation. L’article 10(2) de la loi nationale soudanaise sur la nationalité de 1994, tel qu’amendé en 2011, stipule qu’une personne perd la nationalité soudanaise si, de facto ou de jure, elle acquiert la nationalité du Soudan du Sud. L’article 10(3) stipule qu’un mineur perd automatiquement sa nationalité soudanaise si le «père responsable» le perd. Le représentant a fait valoir que l’article 7(3) de la Constitution, lu avec l’article 10(3) de la loi, confère au Ministère de l’Intérieur le pouvoir de ne pas reconnaître la citoyenneté soudanaise de Mazin et ses cinq frères et sœurs (Munzir, Mayada, Mawada, Mohamed et Muayad). Le Ministère de la Justice a donc soutenu que les requérants n’avaient aucun motif pour contester la décision qui leur avait refusé la nationalité en vertu de la loi, mais pouvaient uniquement contester la constitutionnalité de la loi elle-même.
La Cour Constitutionnelle a statué que la décision du Ministère de l’Intérieur de ne pas reconnaître le droit des requérants d’obtenir la nationalité était inconstitutionnelle et, a en outre, déclaré que les requérants avaient le droit de demander la nationalité soudanaise en fonction de la nationalité de leur mère.
Cette décision traite et soulève des points intéressants:
Tout d’abord, la décision se réfère à la fois à l’article 7(2) de la Constitution et à l’article 4(3) de la loi nationale soudanaise sur la nationalité de 1994 (telle que modifiée en 2011). L’ancienne donne un droit inconditionnel aux enfants nés d’une mère soudanaise d’acquérir la nationalité soudanaise, c’est-à-dire qu’ils l’acquièrent automatiquement. Cette dernière donne le même droit, mais malheureusement à une condition, car elle exige que ces enfants introduisent une demande aux autorités compétentes concernées avant que la nationalité ne soit confirmée. La décision confirme quelque peu que cette condition est constitutionnelle, ce qui, au moins en théorie, donne au Ministère de l’Intérieur le droit de refuser leurs demandes, puisque la prise de décision implique toujours l’existence d’un pouvoir discrétionnaire pour approuver ou refuser la demande en question – même si, comme dans le cas de l’article 4(3), l’acquisition de la nationalité est censée être de droit une fois que la demande est faite. La décision de la Cour est conforme à sa décision antérieure dans l’affaire Benjamin, dans laquelle le plaignant a demandé que l’article 10(2) soit déclaré inconstitutionnel. La Cour, au lieu de le faire, s’est référée à l’article 4 (3) de la loi comme base pour qu’Iman Hasan Benjamin acquière la nationalité soudanaise. Il semble que la Cour ait cherché à éviter une décision selon laquelle la loi sur la nationalité soit inconstitutionnelle, malgré ses dispositions discriminatoires.
Deuxièmement, si ou quand Deng et ses frères et sœurs demandent la nationalité soudanaise en fonction de leur relation avec leur mère, on ne sait pas très bien comment le Ministère de l’Intérieur traite le fait qu’ils ont le droit d’être des citoyens sud soudanais à travers leur père et ainsi, conformément à l’article 10(2), inéligible pour devenir soudanais. On pourrait cependant argumenter que cette section traite de la révocation de la nationalité par opposition à son acquisition. La question qui se poserait, si cet argument est valide est : auraient-ils acquis la nationalité soudanaise sur demande sur la base de la nationalité de leur mère et ensuite la perdre automatiquement car ils sont de jure de nationalité sud soudanaise du fait de la nationalité de leur père? La section ne parle pas expressément ou implicitement des enfants dont les mères sont du Soudan et de leur éligibilité à être exempté de l’interdiction de la double nationalité avec le Sud Soudan. Donc, cette décision et celle de Iman semblent faire une exception pour les requérants dans les deux cas qui ne sont pas prévus dans la loi. Cependant, il n’est pas clarifié si le Ministère de l’Intérieur est tenu de mettre en œuvre cette exception dans de futures demandes similaires.
Troisièmement, le Ministère de la Justice a soutenu que les requérants auraient dû contester la constitutionnalité de l’article 10(3). Dans le cas de Iman, le requérant a contesté la constitutionnalité de l’article 10(2), mais la Cour a déclaré que l’acte de contestation était “prématuré” et a conclu que “… le paragraphe 10(2) de la loi nationale de 1994, modifiée en 2011, … est conforme à la réalité et aux circonstances de la situation actuelle et ne contredit pas la Constitution intérimaire de 2005 de la République du Soudan et les conventions que la Constitution incorpore. “Puisque le paragraphe 10(3) est en réalité une partie et lié à celui de 10(2), il n’y a aucune raison de faire croire à Mazin, ses frères et sœurs que la Cour prendrait une décision différente s’ils le déclarent inconstitutionnelle. Comme elle l’a fait dans le cas de Iman, la Cour aurait trouvé convenable de renvoyer les requérants à leur droit de demander la nationalité en vertu de l’article 4(3), comme elle l’a fait dans les deux cas. Les mots «circonstances de la situation actuelle» se réfèrent probablement à la nature politique de l’amendement par laquelle les articles 10(2) et (3) ont été introduits et adoptés en 2011 juste avant la sécession officielle du Sud Soudan. En faisant ses jugements, La Cour Constitutionnelle devrait idéalement éviter les calculs ou les considérations politiques des organes législatifs et exécutifs du gouvernement s’ils contredisent les droits de l’homme ou les principes généraux du droit international, surtout que la cour en vertu de la Constitution est habilitée à “protéger les droits de l’homme et les libertés fondamentales”.
La décision de la Cour dans l’affaire Deng n’a donc pas porté sur la constitutionnalité ou non de l’article 10(2) et (3), au motif que l’incapacité des requérants d’argumenter la requête signifiait que ce n’était pas à l’ordre du jour. Néanmoins, en ce qui concerne l’égalité de genre en matière de nationalité et de prévention de l’apatridie, c’est, de mon point de vue, un pas en avant; Il est bien écrit en arabe et partiellement bien argumentée en ce qui concerne la requête spécifique soumise à la Cour. Il est, comme indiqué ci-dessus, conforme à ce que la Cour a déclaré dans l’affaire Iman Hasan Benjamin ; qu’Iman était éligible pour réacquérir la nationalité soudanaise sur la base de la nationalité de sa mère, sauf que dans l’affaire Iman, la Cour n’a pas renversé la décision de l’état-civil, qui a refusé sa demande de numéro d’identification national.
En conclusion, que les autorités compétentes soudanaises décident si les personnes qui sont nées de parents du Soudan et du Sud Soudan sont éligibles pour obtenir ou à recouvrer la nationalité soudanaise, est relativement une chose saine contrairement à l’expulsion ou l’emprisonnement- qui était un risque à un moment donné. Les cas des personnes nées de pères sud soudanais continueront probablement à être admis à la Cour Constitutionnelle. Étant donné que la Cour est en train de se soumettre clairement à des considérations politiques derrière la modification de la loi sur la nationalité de 2011, on s’attend à ce que la Cour ne prenne pas une meilleure décision dans de futurs cas similaires, tant que les paragraphes 10 (2) et (3) sont en vigueur. Ainsi, le véritable défi en ce qui concerne toute la question de la nationalité des personnes ayant des racines au Soudan du Sud est d’annuler totalement les paragraphes 10 (2) et (3).
À cet égard, les requérants ont justement déclaré dans leur argument que les dispositions de la Constitution sont suprêmes et que le rôle ou la fonction de la loi est de réglementer uniquement, ce qui signifie que la loi ne peut pas priver les personnes de leurs droits qui sont reconnus ou accordés par la Constitution. Même si nous supposons, pour l’argumentation, que l’article 10(2) est constitutionnel et que le père ait perdu sa nationalité à cet effet, les enfants ne devraient pas perdre la leur. À mon avis, une stricte distinction devrait être établie entre la perte ou la révocation de la nationalité pour une raison qui existe avant son acquisition (la fraude par exemple) et une perte de la nationalité pour une raison qui existe après son acquisition (une décision politique, comme dans la situation du Soudan). Dans le premier cas, l’effet pourrait aller au-delà de la personne qui perd sa nationalité (le père dans ce cas), si les décisions de privation distinctes trouvent qu’elle a également été acquise frauduleusement et que l’intérêt supérieur de l’enfant n’exige pas qu’il conserve la nationalité. Ainsi, les enfants et les autres qui ont acquis leur nationalité sur la base de celle de leur père (qui est annulé ab initio) ne devraient pas aussi le perdre si, par exemple, ils deviendraient ainsi apatrides. Cela s’ajoute au fait que la loi soudanaise reconnaît le principe du jus soli, si le père du requérant est né au Soudan et que le requérant soit né là avant l’entrée en vigueur de la loi de 1994. Malheureusement, la nature politique de l’amendement de 2011 et la tendance de la Cour à en tenir compte constituent un obstacle à l’examen ou à la discussion objective de ces questions que la Cour constitutionnelle aurait pu traiter même in obiter dictum.
* Consultant indépendant et doctorant à Georgetown University Law Center. Il peut être contacté à : nha32@georgetown.edu
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