La minorité indienne de Madagascar
Published: 3/Jan/2007
Source: Témoignages (Madagascar)
SUR une population totale estimée actuellement à plus de dix-sept millions d’habitants, Madagascar compte moins de quinze mille personnes d’origine indienne. C’est une toute petite minorité en nombre, correspondant à moins de 0.10% de la population totale du pays. Mais c’est par son poids économique qu’elle se fait remarquer. La majorité des membres de cette communauté a une activité commerciale ou industrielle, de la plus modeste à la plus développée, et joue un rôle important dans l’économie du pays (elle contribue pour un tiers du PIB malgache).
La population d’origine indienne de Madagascar a une histoire tout à fait différente de celle de la Réunion. Sur notre île, outre les premières femmes indiennes amenées de Goa qui furent à l’origine du peuplement de la Réunion, les colons recrutèrent des esclaves indiens tout au long du 17ème et 18ème siècle. C’est à partir de 1848, avec l’engagisme qu’arrive le plus gros contingent d’Indiens à la Réunion. Ces engagés Indiens sont en fait des esclaves déguisés. Un autre peuplement d’Indiens sur notre île se fit depuis le Gujrât avec quelques individus au 19ème siècle, et amplifié par des arrivés plus nombreuses de 1910 à 1915. La colonisation anglaise, qui eut pour conséquence un appauvrissement de l’Inde (chômage, disette et famine), entraîne une émigration volontaire des Indiens notamment vers les îles de l’Océan Indien. L’histoire de la communauté d’origine indienne résidant aujourd’hui à Madagascar ne commence donc réellement qu’au 19ème siècle, avec l’arrivée d’hommes seuls, suivis plus tard de leurs familles, qui vont progressivement se fixer sur place.
Depuis leur arrivée, les coloniaux n’ont pas refusé de laisser se répandre une image négative des Indiens à Madagascar. Ces derniers ont été accusés de monopoliser le commerce aux dépens de l’habitant, bien que dans de nombreuses régions, les Malgaches ne soient pas commerçants, et de drainer la richesse du pays pour l’envoyer en Inde, alors que la plupart des Indiens ne sont jamais repartis et ont réinvesti leurs bénéfices sur place.
Avant même la conquête militaire de Madagascar par les Français, alors que le protectorat était établi depuis une dizaine d’années, le regard porté par les futurs colonisateurs jugeait et évaluait la part prise par les Indiens dans le commerce extérieur de l’île. L’Annuaire de 1894 constate qu’à l’ouest de Madagascar, le commerce était entre les mains des seuls Indiens. Le trafic était considérable, notamment avec la côte orientale de l’Afrique, et se faisait presque exclusivement par boutres. En conclusion de son récit de voyage à Madagascar en 1894, Martineau appréciait ainsi le rôle des Indiens dans le commerce de l’île : « les Indiens sont répandus sur toutes les côtes, sauf dans le sud qu’ils n’ont pas encore pénétré. Ce sont des commerçants habiles, économes, vivant de peu ; leurs établissements sont en général prospères et font une concurrence dangereuse, parfois mortelle, aux établissements similaires tenus par les Européens ». La littérature coloniale, sous forme de comptes-rendus de tournées administratives militaires ou civiles, de rapports commerciaux ou de simples relations de voyage, présente une image des Indiens : « Etrangers certes ils l’étaient et que l’on se faisait une image typifiée de la fourberie de cette race dont les Européens devaient se méfier ». « Étrangers enfin, ils l’étaient moins que les Français nouveaux venus, vis-à-vis de ce peuple malgache dont ils partageaient une bonne partie de la vie quotidienne ». Prud’homme parle des Indiens, nombreux dans le Nord-Ouest comme de ces « étrangers qui ont réussi depuis longtemps à de faire admettre dans la famille sakalava c’est-à-dire le peuple. Ils s’étaient fait accepter en se rendant indispensables aux échanges commerciaux ».
Les Indiens à Madagascar sont désignés par le terme « Karana ». L’emploi de ce terme est péjoratif. Il est peut-être même qualifié d’insolent et d’irrespectueux. La dénomination « Karana », autrefois écrit Karany provient du terme « Coran » (qur’ân, faisant référence au Livre sacré de l’Islam car la majorité des Indiens de Madagascar sont de confession musulmane). Le terme « Indo-Pakistannais » n’a rien de réel car les Indiens de Madagascar sont tous d’origine indienne d’un point de vue géographique, culturel, linguistique et même historique, puisqu’ils sont originaires de l’État indien du Gujrât. Le Gujrât est la région Nord-Ouest du sub-continent indien. Cette région est composée en grande partie par la presqu’île du Kathiawar, orientée sud-ouest et délimitée au nord par le golfe du Kutch et au sud par le golfe de Cambay à l’entrée duquel se trouve la ville de Surat.
Les gouvernements, les médias, relatent aujourd’hui très peu de la discrimination dont est victime la minorité indienne vivant à Madagascar. Cette communauté est mise à l’index depuis plusieurs années. L’Etat malgache, quel que soit le parti au pouvoir, leur refuse systématiquement la nationalité même s’ils sont installés dans la Grande île depuis plusieurs générations. Les personnes d’origine indienne de Madagascar sont aujourd’hui victime de nombreuses injustices tant en termes d’intégrations, de nationalité non attribuée, de discriminations… .
Le statut juridique des étrangers à Madagascar distingue trois catégories : non-immigrants (séjournant à Madagascar depuis moins de 3 mois), immigrants (séjournant pour plus de 3 mois) et apatrides. Les Indiens de nationalité française, indienne ou autres et les apatrides sont dans les deux dernières catégories, bien que natif du territoire depuis plusieurs générations (le jus soli n’étant pas, comme en France, un critère d’obtention de la nationalité du pays). Dans tous les cas les étrangers ont besoin d’un permis de séjour. La loi sur les étrangers réglemente leurs activités professionnelles, leur interdisant certaines professions et l’acquisition de biens immobiliers sans autorisation préalable des autorités publiques. Cette dernière disposition a même été renforcée en 1978 par une note interdisant aux étrangers toute acquisition de biens immobiliers sans possibilité de dérogation. Les Indiens doivent donc demander le renouvellement de leur permis de séjour indéfiniment, puisque leur séjour de plus de trois mois c’est toute leur vie, de la naissance à la mort. Cependant un certain nombre d’entre eux, étrangers installés depuis des générations, ont obtenu un permis de séjour définitif. Les Indiens peuvent aussi demander leur naturalisation : elle est accordée par décision de l’autorité publique. Or la plupart de ceux qui ont constitué leur dossier de demande de naturalisation et répondaient aux six conditions exigées, n’en ont pas été pour autant admis comme ressortissants malgaches. Le fait de les avoir maintenus dans le statut d’étrangers, a pour conséquence de les enfermer dans une logique et un comportement commercial d’étrangers, ne pouvant réinvestir sans risque dans un pays où ils peuvent se faire exproprier de leurs possessions temporaires et d’où ils peuvent se faire expulser à n’importe quel moment.
Cette communauté est souvent pointée du doigt pour servir de boucs émissaires aux malheurs des uns et des autres. Leurs biens sont pillés lors des émeutes. Pour exemple, les émeutes du 27 janvier 1994 qui éclatent à Antsirabé, à la suite d’un défilé de lycéens. Il y a aussitôt manipulation du cortège d’étudiants, pillage des éternels boucs émissaires, comme des méthodes d’un autre temps, d’un autre régime politique. Les familles indiennes s’enfuient vers Tananarive où elles se réfugient. Le bilan fait état de plusieurs morts et blessés.
Au cours des dernières années, cette communauté a aussi souvent été victime de kidnapping. « Madagascar a connu ces derniers temps une recrudescence des kidnappings envers la communauté indienne, six en l’espace de deux mois, avec parfois des meurtres. Et les enfants sont maintenant victimes de ces agressions » relatait un correspondant de RFI à Madagascar il y a un an. Le journaliste cite l’exemple d’un homme d’une vingtaine d’années enlevé en compagnie de son père dans les rues de Tamatave, premier port du pays sur la côte Est. Le rapt est mené par une poignée d’individus armés. Les agresseurs ont assassiné le père. Pistolets sur la tempe, le jeune Indien a été emmené dans une planque. La libération fut digne d’un feuilleton télévisé avec versement d’une rançon par la famille.
Nombre d’Indiens ont été assassinés sommairement et continuent de l’être aujourd’hui sans que personne ne s’en préoccupe.
Bhapoo
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