L’apatridie et la nationalité en Côte d’Ivoire
Published: 15/Déc/2016
Source: Le HCR
Par Mirna Adjami
Résumé
La Côte d’Ivoire est devenue partie aux deux conventions internationales sur l’apatridie en 2013 et s’est engagée à résoudre le problème de l’apatridie sur son territoire. Pour y parvenir, il lui faudra identifier et combler les lacunes du système de la nationalité en Côte d’Ivoire, qui englobe les lois et règlements sur la nationalité, l’état civil (y compris l’enregistrement des naissances) et l’identification des ressortissants ivoiriens et des étrangers, ainsi que la façon dont ces lois sont appliquées – ou pas – dans la pratique. Les environnements migratoire et politique de la Côte d’Ivoire servent de toile de fond à cette analyse.
La Côte d’Ivoire est un pays d’immigration. En raison des politiques migratoires coloniales imposées, environ 13% de la population nationale était immigrée à l’indépendance en 1960. À l’époque, le terme se référait aux individus estimés être « d’origine étrangère », c’est-à-dire ceux nés en dehors du territoire ivoirien et installés à demeure depuis leur arrivée. L’immigration positive nette vers la Côte d’Ivoire a continué pendant quatre décennies, jusqu’à la fin des années 1990. La majorité des immigrés en Côte d’Ivoire proviennent de ses États voisins en Afrique de l’Ouest, en particulier du Burkina Faso (anciennement appelé la Haute Volta), du Mali et de la Guinée. Selon le dernier recensement en 2014, 24% de la population de Côte d’Ivoire – soit 5.490.222 sur une population totale de 20.671.331 habitants – s’identifie comme « étranger », 1 c’est-à-dire comme non-Ivoirien, bien que de manière frappante, 59% des personnes identifiées comme « étrangères » sont nées en Côte d’Ivoire.
Le Code de la nationalité de 1961 inscrit comme principe fondamental qu’un enfant doit être né d’au moins un parent ivoirien, quel que soit le lieu de naissance, pour acquérir automatiquement la nationalité ivoirienne d’origine. En outre, ce Code contenait deux voies spéciales pour l’acquisition de la nationalité ivoirienne par les étrangers présents en Côte d’Ivoire : un programme de naturalisation facilitée était disponible pour les étrangers présents en Côte d’Ivoire à l’indépendance pendant une durée d’un an, alors que la possibilité d’acquisition de la nationalité ivoirienne par déclaration existait pour les enfants des migrants nés en Côte d’Ivoire. Les amendements de 1972 au Code de la nationalité ont fermé la possibilité d’acquisition de la nationalité ivoirienne par déclaration pour ceux nés en Côte d’Ivoire de parents étrangers ; les amendements ont aussi supprimé la disposition d’octroi automatique de la nationalité ivoirienne aux enfants nés sur le territoire de parents inconnus. En réalité, pas un seul étranger n’a acquis la nationalité ivoirienne par naturalisation pendant la période d’un an prévue dans ce sens et seules 36 personnes l’ont acquise par déclaration pendant que cette procédure était en vigueur. Néanmoins, malgré le fait que peu d’étrangers aient légalement acquis la nationalité ivoirienne en bonne et due forme, de nombreux migrants historiques et leurs descendants ont exercé les droits des citoyens ivoiriens et ont été traités en tant que tels en vertu des politiques libérales du Président Houphouët-Boigny de l’indépendance au début des années 1990.
Les lois de la Côte d’Ivoire relatives à l’état civil et à l’identification jouent un rôle important dans la détermination de la nationalité, mais elles ont semé une certaine confusion. L’enregistrement de la naissance prend acte du lieu de naissance et de la filiation de l’enfant. Bien que la preuve de l’enregistrement de la naissance soit fondamentale pour l’attribution de la nationalité ivoirienne à titre d’origine ou par tout autre moyen, une partie importante de la population née en Côte d’Ivoire n’a jamais eu sa naissance enregistrée auprès de l’état civil conformément à la loi. Pour diverses raisons, l’état civil de la Côte d’Ivoire reste défaillant. En parallèle, ces systèmes d’identification des ressortissants et des étrangers ont été soumis fréquemment aux amendements, et ont été appliqués d’une manière fondamentalement arbitraire au cours des décennies. Ce n’est qu’au cours de deux périodes – entre 1998 et 2000 et depuis que la Côte d’Ivoire a commencé un nouveau processus d’ « identification ordinaire » en 2014 – qu’il a été nécessaire pour tous les individus de présenter un acte de naissance et un certificat de nationalité – le seul document, selon la loi, qui confirme la nationalité d’un individu – pour obtenir une carte d’identité ivoirienne.
Le clivage entre la législation ivoirienne et son application réelle, combiné à une décennie de guerre civile et de conflits, a contribué à la prévalence importante de l’apatridie en Côte d’Ivoire. L’apatridie apparaît le plus souvent au sein de certaines catégories de personnes identifiées, telles que les migrants historiques et leurs descendants ; les enfants nés de parents inconnus ; les populations frontalières ; les réfugiés et les rapatriés, en particulier les enfants de réfugiés nés à l’étranger, et les personnes déplacées ; certaines catégories d’immigrés récents ou de personnes issues de la traite des êtres humains ; et des personnes à qui on a refusé la carte d’identité ivoirienne lors de l’organisation des élections de 2010. Déterminer le statut d’apatridie d’un individu en Côte d’Ivoire n’est pas tâche facile. Cela demande une analyse au cas par cas, d’autant plus que les migrants des États voisins d’Afrique de l’Ouest et leurs descendants peuvent acquérir la nationalité de leurs parents étrangers par filiation. Ainsi, il est impossible de fournir une estimation précise du nombre de personnes apatrides en Côte d’Ivoire.
Ce rapport met en lumière la façon dont l’apatridie peut apparaître en Côte d’Ivoire à travers les failles de son système de nationalité. Il propose en conclusion un certain nombre de recommandations sur les mesures nécessaires pour remédier à l’apatridie et veiller au respect du droit à la nationalité, telles que : une réforme de la législation sur la nationalité ; une meilleure identification des apatrides et des personnes exposées au risque d’apatridie ; un renforcement du système de l’état civil, et une identification transparente et uniforme des ressortissants et étrangers.
Télécharger rapport complet en anglais et français au site web de l’HCR Refworld